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Arbre de la vie

Bonheur

9 Juin 2015 , Rédigé par Anna Publié dans #Et si on parlait du bonheur

Elle venait d’un pays froid. Elle gardait dans son cœur la sensation du vent frais sur le visage et le souvenir de la neige, cette neige qui tombe en silence sur la ville, éclairée par les néons jaunes. Elle aimait marcher toute seule dans les rues presque désertes pendant de longues soirées d’hiver, écoutant le bruit des pas dans la neige, fascinée par des myriades de flocons qui brillaient comme des petites étoiles.

C’était son passé. Souvent, surtout pendant les fêtes de la fin d’année, elle éprouve irrésistible envie d’une promenade sous la neige, éclairée par les néons de la ville. Elle ignore si un jour elle pourrait revivre ces instants magiques.

Par l’ironie du sort le destin a mené ses pas au pays, qu’elle ne connaissait pas et qu’elle, a en aucun moment de sa vie, n’a jamais eu envie de visiter. La France. L’expression « voir Paris et mourir » était pour elle vide de sens, car dans son imagination Paris incarnait la superficialité, la vanité, la démesure, la mégalomanie, l’hypocrisie, le faste, la débauche, l’ostentation, le luxe – des choses qu’elle détestait le plus.

On nomme Paris « ville-lumière ». La nuit on ne voit que ces innombrables illuminations, comme si on cachait le sapin sous la multitude de guirlandes pour ne pas voir sa tristesse et sa mort imminente. Les gens du monde entier viennent voir ses lumières. Les boutiques, les restaurants, les rues, les monuments brillent de milles feux. Attirés par l’éclat, le luxe, la beauté criante, comme les mouches par une ampoule, les touristes se pressent d’acquérir un grand nombre d’objets qu’ils vont ramener chez eux pour les garder en souvenir sur leurs commodes. Une fois la fête terminée, les touristes partis et les lumières éteintes, Paris retrouve son vrai visage du matin – gris, triste, froissé et fatigué. La lumière du jour dévoile tout ce qu’on ne voyait pas, aveuglé par les lampes. Les bâtiments du style classique, jadis blancs, sont de couleur gris-souris, le ciel pareil, les rues étroites, l’espace confiné, les gens pressés qui ne regardent jamais le ciel, mais sous leurs pieds pour éviter des mauvaises surprises et ne pas salir leurs belles chaussures qu’ils aiment tant. Paris vu d’en bas n’est pas un spectacle joyeux. Sans doute pour cette raison que les parisiens sont fiers de leurs toits, d’ou on distingue moins la grisaille de la ville. Même les cathédrales gotiques s’élancent et se précipitent vers le ciel, comme s’ils voudraient échapper à la tristesse, percer les nuages et s’approcher du soleil. La grisaille pénètre même dans les cœurs des gens. Les français ont un mal-être profond qui se traduit par l’expression de leurs visages, leur souci maladive de l’apparence, leurs plats minuscules, leur langue compliquée.

Son présent – c’est la France qui pour elle rime avec la souffrance. De plus, à Paris on ne sait jamais à quoi s’attendre : des arbres, plantés au milieu du trottoir, un chef-œuvre caché dans le coin du parc bien taillé, un élément architectural étonnant, les tables des bistrots au bord de la rue, pleine de voiture polluantes, la grisaille extérieure des bâtiments qui contraste avec opulence intérieure, les grands boulevards larges et lumineux et les petites rues étroites et sombres. Ici les émotions se changent avec la vitesse supérieure : elles passent par le dégout, l’admiration, la tristesse, l’irritation, l’émerveillement. On est toujours à fleur de peau, cette ville nous tient en éveil et ne laisse pas s’assoupir. C’est épuisant, mais on se sent vivant.

Son rêve depuis toujours – c’est l’Italie : solaire, douce, généreuse avec ses magnifiques villes médiévales et ses collines fleuries. C’était son seule amour qui ne l’a jamais trahie et qui pendant de longues années ne cessait de lui procurer les émotions tellement fortes et tellement réelles, qu’elle ressentait avec tout son être à travers la musique, la langue, l’histoire, l’architecture, l’art. Quand elle ferme les yeux elle arrive même ressentir la douce chaleur et le parfum de bonheur. Ce n’est qu’un rêve d’une vie paisible qu’elle imagine dans une petite vieille maison en pierre sur les hauteurs des collines avec une petite terrasse ombragée, flanquée de quelques plantes dans les pots en terre cuite, d’où elle pourrait admirer la vue en silence. Depuis toujours l’Italie fait parti d’elle, même si elle n’a jamais eu de chance la visiter et transformer son rêve en un souvenir inoubliable. Ce n’est qu’un mirage qui lui réchauffe le cœur et ne laisse pas sombrer dans le désespoir.

La nostalgie du passé et les rêves du futur sont habillés dans une voile transparente de nos émotions qui les métamorphose en visions merveilleux. La vraie vie n’est qu’un petit instant entre le passé révolu et le futur imaginaire. Rempli d’amour, de joie et de beauté ce petit moment rend la vie belle, les mauvaises pensées, en revanche, la détruisent en cendres. L’amour dans le cœur n’a aucun lien avec l’endroit ou le pays, ni avec les conditions de vie. Cette source vitale est libre de toutes les circonstances et de tout raisonnement.

Entre le passé disparu à jamais et les rêves de futur incertain, elle a réussi à retrouver cette source de lumière au fond de son cœur endolorie. Elle s’est accrochée à lui de toutes ses forces, car elle a réalisé que son petit cœur fragile est son seul espoir pour la survie. Lui seul a assez de force et de courage pour repousser la grisaille de la vie et des mauvaises pensées afin d’apercevoir une faible lueur de bonheur.

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G
c'est si beau, si bien éceit, une auteure confirmée qui gagnerait à être connue et reconnue, tout s'enchaine tres vite,en sentiments contradictoires et sublimés par cette intemporalité qui la caractérise une recherche intérieure,un aboutissement, une envolée lyrique,un aller retour entre deux cultures latines si semblables et pourtant antagonistes,la france, pays des droits humains, froide et grise,et l'italie, lumineuse, rebelle, empreinte de lumière et de beauté!
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A
Merci Gilles pour ce commentaire, mais mon message était de faire comprendre que la vie c'est ni le passé, ni le futur, mais ce petit instant présent, si éphémère, qu'on ne le remarque même pas,mais c'est lui la vrai Vie.
P
Quelle beauté que ces mots comme une caresse tendre sur mon coeur! J'aime oh oui...j'aime passionnément tes mots!
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A
Merci, mon ami, je suis heureuse si je peux t'apporter un peu de tendresse :)